Les lunettes sont-elles nos seules alliées pour mieux voir ?

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7 bonnes raisons de se préoccuper de sa vue, 5 motifs d’espérer que la vue puisse s’améliorer, 4 façons d’en prendre soin (que vous pouvez démarrer dès aujourd’hui)

Certaines personnes ont eu des améliorations spectaculaires de leur vue grâce à la méthode Feldenkrais ou Bates. Pour mieux comprendre pourquoi ces succès ont été possibles et imaginer quel genre de tracas sont concernés (car il ne s’agissait pas de miracles), voici quelques éclairages sur un processus encore aujourd’hui plein de mystère, la vision.

Ma vue était très bonne jusqu’à ces dernières années, où certaines situations se sont dégradées au point de me gêner pour lire ou pour décider où tracer le trait quand je bricole.

Auparavant, je voyais suffisamment bien pour m’attirer un regard intrigué lors de ma première visite à la médecine du travail, car quand elle m’a demandé si ma vue allait bien, je me plaignais d’une dégradation. Une fois les mesures faites, j’avais encore 12/10 aux deux yeux (nota : cette mesure n’est pas une note mais la capacité à distinguer des lettres plus ou moins petites depuis une distance plus ou moins grande. Au Japon, il est courant de mesurer jusqu’à 20/10).

Mais voilà, je suis complètement immergé dans les questionnements liés au vieillissement, ce qui m’a amené à écrire un article optimiste sur le sujet : oui, nos capacités se dégradent, mais on peut le voir comme un encouragement à aller vers plus de justesse. Faute d’augmenter notre précision de fonctionnement et s’approcher de l’optimum, notre vue se dégrade et notre qualité de vie avec.

Note : évidemment, si vous avez des tracas sérieux avec vos yeux, une visite chez l’ophtalmologiste s’impose pour envisager un traitement si c’est nécessaire.

Ça peut évoluer positivement ? 

Vous vous demandez peut-être pourquoi je donne l’impression que la vue peut s’améliorer, alors que la pensée dominante se résume ainsi : « La vue — comme toutes les autres fonctions — est sur une pente descendante qui conduit irrémédiablement vers la décrépitude et des lunettes de plus en plus complexes. » 

Cela nécessitera peut-être un peu de curiosité tranquille de la part du lecteur ou de la lectrice, mais je me propose de montrer que l’on peut remonter la pente, au moins partiellement. Je souhaite aussi donner quelques motivations, car la pente naturelle est effectivement de décliner donc il nous faut un cap, de l’attention et de la persévérance pour la remonter. 

Comme la pratique de Feldenkrais a affiné ma perception de soi et augmenté la curiosité de noter les évolutions, j’ai glané au fil des années de nombreuses observations : quand je vois bien, quand je vois moins bien, ce qui a aidé ou fait du mal, etc. Aussi, dans cet article, à certains moments j’amènerai des résultats d’études plus larges, parfois je parlerai de ma propre expérience ou de celle des élèves qui viennent à mes cours. Cela dit, je vous invite à mettre au premier plan votre propre expérience, en espérant que cet article vous donnera quelques pistes intéressantes. 

Vous êtes prêt ou prête ? Nous voici partis pour un passage en revue de 8 raisons de se préoccuper de sa vue, 5 preuves qu’elle peut évoluer, et 4 façons de se faire du bien. 

7 bonnes raisons de se préoccuper de sa vue


Raison no. 1 : la vue donne un accès fantastique au monde

En tant que personne dont la vue fluctue, je remarque ce que je gagne ou je perds selon les moments. Clairement, il y a un gouffre entre la vue « utile » qui permet juste de se repérer entre de gros obstacles et la vue « esthète » qui donne les textures, des contrastes, des couleurs, des reflets, des équilibres…

Parfois un spectacle est d’autant plus beau que la vue est fine et riche, comme par exemple un ciel étoilé ou les jeux d’ombres et de lumière dans une œuvre d’art. 

Il y a tous ces moments où l’on a besoin de voir des choses petites, pour mesurer précisément où couper une feuille ou une pièce de bois (si on fait de la menuiserie), pour lire une notice, pour glisser un fil dans le chas d’une aiguille. 

Il y a tous ces moments où l’on a envie de voir de loin, pour reconnaître une amie, pour voir un panneau sur l’autoroute, pour admirer un oiseau. 

Ainsi, on peut avoir envie d’étendre le champ de ce que l’on voit : plus net, plus loin, plus près, plus coloré, plus contrasté, que les noirs soient bien noirs (nous en parlerons plus loin), que les images ne soient pas tâchées, etc. Comme un pianiste qui continue de progresser bien au-delà de « Au clair de la lune », nous pourrions visiter une part plus grande du monde qui nous entoure et ne pas nous contenter d’une vue basique.

Raison no. 2 : la vue occupe une belle partie de notre cerveau

Il est souvent intéressant d’observer la taille des organes et de les comparer à leurs fonctions. Par exemple quand on voit un fémur, on se doute que l’on peut atterrir sur ses jambes en sautant d’un mur mais que l’on n’essaierait pas la même chose pour atterrir sur les pouces. 

Si l’on en croit les recherches en neuroanatomie, la vue fait intervenir une portion conséquente de notre cerveau. Vous pourrez parcourir par exemple la fiche de l’excellent site « Le cerveau à tous les niveaux ». 

Imaginez qu’il soit plus facile de voir. Ceci amène que toute cette partie de notre cerveau participant à cette fonction s’en trouve soulagée, avec moins de bruit, plus d’aisance et des ressources qui peuvent être utilisées pour autre chose. Au vu de la grande taille de la partie du cerveau concernée, n’est-ce pas un beau projet que d’améliorer sa vue ?

Raison no. 3 : La vue et le mouvement sont liés l’un à l’autre

Dans « Le sens du mouvement », Alain Berthoz prouve tranquillement chapitre après chapitre que le cerveau n’est pas un ordinateur avec des canaux séparés, un canal pour la vue, un pour l’ouïe, un pour le toucher, etc. 

Au contraire, les sens se mélangent les uns aux autres pour compléter l’expérience que nous faisons du monde. Nous en donnerons quelques exemples plus loin. Pour commencer ce florilège, un aspect majeur de notre fonctionnement est que la vue et la musculature se coordonnent de manière admirable. 

Une expérience ? Placez-vous devant un miroir et fixez l’œil que vous préférez, le droit ou le gauche. En maintenant le regard sur l’œil en question, bougez lentement la tête comme si vous disiez « non ». C’est fait ? Maintenant refaites-le en observant que, pour ce faire, vos yeux ont dû tourner dans les orbites, étant tour à tour près du nez et près du coin extérieur de l’œil. Vous avez brillamment laissé faire votre réflexe vestibulo-oculaire, qui fait que le mouvement des yeux a compensé le mouvement de votre tête, ce qui vous permet de voir le monde plutôt stable alors que vous êtes en mouvement. On comprend la différence en regardant un film tourné caméra au poing, sans stabilisation, attention aux nausées ! Nous avons des systèmes de stabilisation qui nous permettent de bouger tout en gardant la stabilité des yeux, quel confort !

Ces aspects nous amusent beaucoup en Feldenkrais, ce qui conduit à faire beaucoup de leçons pour sentir l’influence d’une amélioration du mouvement des yeux sur le reste du corps ; par exemple, on améliorera les mouvements des yeux vers la droite, pour constater à la fin, une fois debout, que l’on tourne plus aisément vers la droite que vers la gauche. 

Pour dire à quel point l’orientation du regard prépare la musculature pour se déplacer, Berthoz résumait la situation en écrivant « qu’il est plus juste de dire que l’on va où l’on regarde que de dire que l’on regarde là où l’on va ». Ainsi, nous affirmons que notre aisance générale va s’améliorer lorsque nos yeux et le reste du corps auront un fonctionnement plus fluide et plus cohérent ; ceci est un peu une tautologie, mais disons que l’observation de la fluidité du mouvement des yeux va nous donner un excellent point d’entrée pour l’amélioration générale.

Raison no. 3 bis : forcer pour voir modifie tout

Il m’est arrivé assez souvent de recevoir des personnes pour une séance de Feldenkrais, qui se plaignaient de diverses douleurs. En discutant un peu, on constate qu’elles sont apparues quand elles ont commencé à porter leurs verres progressifs. 

Il va se soi que l’orientation de la tête est primordiale pour rendre aussi simple et efficace que possible la perception et l’action. Que se passe-t-il quand la justesse et la cohérence de l’orientation se dégradent ? Des muscles forcent plus que nécessaire pour la même action, par exemple les muscles du cou qui commencent à reculer la tête en espérant voir plus net, les muscles des yeux qui forcent pour faire la mise au point, etc. Donc non seulement on perçoit un effort pour une action simple, ce qui colore la vie d’une manière fâcheuse, mais en plus on peut arriver rapidement à des douleurs aux articulations à cause de ces mouvements, surtout si on ne prend pas le temps d’apprendre à faire aisément ce que l’on souhaite faire. 

En conclusion : porter des verres progressifs, ça s’apprend ! En effet, ça concerne pas que la vue, ça concerne aussi toute l’orientation du corps. Nous espérons toutefois prendre soin de notre vue avant que les lunettes soient incontournables, peut-être ne le seront-elles pas ou si peu ?

Raison no. 4 : La vue et le toucher sont liés l’un à l’autre

Toujours dans « le sens du mouvement », Berthoz donne quelques sources qui montrent que les yeux et le toucher travaillent ensemble. Ceci encourage très vivement à laisser les enfants toucher ce qui les entoure, afin que la vue et le toucher se développent ensemble. 

Que diriez-vous d’une autre expérience pour donner corps à ces affirmations ? En faisant appel à votre plus grande sensibilité, peut-être sentirez-vous que vous avez une sensation physique très légèrement différente selon que vous regardez une table en bois, un mur en pierre ou un rideau. Si vous faites l’expérience de regarder autour de vous, que sentez-vous ? Devinez-vous la texture, la température, la dureté ? Dans « Phénoménologie de la perception », Merleau-Ponty résume ceci en écrivant que « voir, c’est toucher du regard ». 

Pour aller dans ce sens, un résultat de recherche très récent démontre que le mouvement des yeux se modifie lorsque l’on prête attention à un objet vibrant sur la peau. Dans l’article résumé ici (en anglais), l’équipe de recherche a montré que les sujets sentaient mieux les vibrations quand les mouvements des yeux devenaient plus simples (les saccades oculaires diminuaient en amplitude et en direction). En d’autres termes, un des membres du tandem modifie son fonctionnement pour laisser l’autre se focaliser plus. Ce résultat n’est pas ébouriffant, mais il éveille notre curiosité sur les liens entre vue et toucher, car ceux-ci sont nombreux. 

Raison no. 5 : La vue et l’ouïe sont liés l’un à l’autre

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Comment fait-on pour entendre et comprendre quelqu’un, même avec du bruit ? Quand on apprend une langue étrangère, nos difficultés à entendre nous montrent l’extraordinaire capacité que l’on a, dans sa langue maternelle, à discerner des sons au milieu d’un brouhaha. 

Un aspect surprenant est que l’on utilise la vue beaucoup plus qu’on ne le croit. Dans la vidéo suivante (en anglais), on fait une constatation assez amusante : selon le mouvement des lèvres que l’on voit, on entend « Ba » ou « Va » alors que le son est resté exactement le même. Pour convaincre, la BBC a mis sur le même écran deux visages qui prononcent « Ba » ou « Va », le son ne changeant pas ; vous aurez le choix de regarder à droite ou à gauche et d’observer ce que vous entendez. Fermez les yeux, regardez l’un, regardez l’autre, faites-vous des surprises, mais quoi que vous fassiez le son change selon le côté de l’écran que vous regardez !

Là où les journalistes présentent ceci comme une illusion, je propose de le qualifier « d’aide à la perception ». Dans des conditions bruitées, heureusement que nous pouvons croiser les informations ! Peut-être serons-nous moins fatigués avec une meilleure vue, qui soulagerait l’ouïe dans son œuvre de donner un sens au brouhaha ambiant ?

Raison no. 6 : La vue et la cognition

Certaines équipes de recherche étudient à quel point une mauvaise vue complique le développement sensoriel, moteur et intellectuel. On peut lire ici un exemple d’argumentaire. 

Le grand mathématicien Henri Poincaré s’est rendu compte que la perception de l’espace — même en imagination — a un lien avec l’orientation des yeux, si nous louchons plus ou moins. A ce titre, une autre expérience est de fermer les yeux et d’imaginer la pièce autour de vous, avec son volume. Si vous savez le faire, prêtez attention à vos yeux et détendez-les comme lorsque vous regardez très loin ; que devient la perception de volume de la pièce ? 

On peut aller aussi loin que l’on veut dans ce domaine des relations entre la vue et les fonctions intellectuelles et émotionnelles : certaines personnes montrent des liens entre la direction du regard et la mémorisation, d’autres sur les capacités à réfléchir, l’EMDR semble faire beaucoup de bien à des gens pour digérer des traumatismes, les yeux bougent en tous sens lorsque nous rêvons…

Ce sont des domaines encore assez mal compris, mais je propose d’en tirer le projet suivant : serons-nous plus intelligents avec des yeux plus légers ? 

Raison no. 7 : Les yeux sont la porte de l’âme

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Saviez-vous que certains psychiatres explorent, depuis les années 1980, les mouvements oculaires pour détecter des troubles mentaux ? On trouvera par exemple dans cet article une discussion récente sur le thème de la schizophrénie. 

Un point de vue plus récent et plus riche se lance dans la mesure des mouvements de yeux et du corps, parfois en relation avec un interlocuteur, pour faire le même genre de diagnostics. On pourra lire (au moins le résumé) de l’article suivant

Mais finalement, ce sont des tentatives de lier des mesures objectives à des constatations que les psychiatres faisaient depuis plus d’un siècle et que les amoureux faisaient depuis bien plus longtemps, quand ils disent que « les yeux sont les portes de l’âme ». On sent bien que l’on perçoit des choses évidentes ou très fines sur ce que vit la personne que l’on regarde… Ici, nous espérons que l’amélioration de l’aisance oculaire soit une porte d’entrée vers des améliorations assez fondamentales.

Un peu plus loin, nous parlerons de la méthode Bates et j’ai particulièrement aimé des témoignages de patients en ayant bénéficié, qui s’enthousiasmaient que la diminution de l’effort pour voir avait coïncidé avec un esprit apaisé. A nous de jouer ?

4 motifs d’espérer que la vue puisse s’améliorer


Un modèle pour décrire comment nous voyons est le suivant : 

  • les yeux sont de petits instruments optiques, 
  • orientés par des muscles, 
  • la rétine est tapissée par de petits cellules qui réagissent à la lumière et envoient des impulsions électriques, elle est donc un peu comme le capteur d’un appareil photographique, 
  • les impulsions électriques sont portées par des fibres nerveuses vers diverses régions du cerveau. 

Jusque là, je pense que tout le monde peut s’accorder (quoique… on peut se demander si la rétine est neutre ou si sa sensibilité varie en fonction des conditions et de ce que l’on cherche à voir). Les chemins divergent lorsqu’il s’agit de savoir ce qu’est cette image dont nous faisons l’expérience : 

  • certains, plus ou moins inconsciemment, poussent le problème sous le tapis en imaginant le cerveau comme un petit écran sur lequel se « projette » l’image, mais alors qui est ce petit bonhomme qui regarde l’image… avec ses yeux ? 
  • d’autres (dont nous faisons partie) remarquent que ce dont nous faisons l’expérience est tout sauf une reproduction neutre de ce qui nous entoure. Donnons-en quelques exemples dans ce sens. 

Motif no. 1 : Les images sont des constructions qui peuvent changer complètement ! 

Avant les machines pour faire de spectaculaires images du cerveau en trois dimensions et en couleur, les scientifiques n’avaient que leur curiosité et la qualité de leurs questions (le lecteur aura remarqué une touche d’acidité). Concernant la vision, à partir de la fin du XIXe siècle, on retiendra les noms de Stratton, puis de Erismann et Kohler. 

Ceux-ci se sont demandés ce qui se passerait quand on met des lunettes qui inversent le haut et le bas : si on regarde une personne debout devant nous, les pieds sont en haut et la tête en bas, tout en gardant la droite et la gauche à leur place. 

Cette expérience est toujours étudiée de nos jours, des doctorants mettant ce genre de lunettes pendant plusieurs semaines, avec le même résultat : après une période durant de quelques jours à quelques semaines, le sujet se cogne de moins en moins et finit par voir le monde de nouveau « dans le bon sens ». Pour ce faire, ce n’est pas le spectacle d’un paysage éloigné que le cerveau remet « à l’endroit », mais les objets que l’on manipule et les lieux à travers lesquels on navigue. Un résumé de ce qui guide notre cerveau dans sa création des images est le suivant : il faut que l’interaction soit aussi aisée que possible. 

Si vous souhaitez en savoir plus sur cette expérience, c’est ici, ou encore ici pour une description un peu plus détaillée. Une autre observation de cette expérience, c’est que les sujets ont du mal à voir le monde à l’endroit quand ils enlèvent les lunettes et qu’ils reviennent « comme avant ». Nous sommes donc exactement comme lorsque nous portons de lourdes chaussures de ski pendant une journée : au début nous sentons leur poids, puis nous marchons normalement sans les sentir (le cerveau a réajusté la force nécessaire à déplacer les pieds) et quand nous les enlevons, nos pieds bougent bizarrement pendant quelques temps car le cerveau a besoin de temps pour réapprendre le poids que font les pieds. 

Grâce à l’expérience de Stratton, on constate donc que c’est le cas pour la vue : notre cerveau s’adapte à de nouvelles conditions, en fonction de ce que nous faisons. Si nous sommes capables de fabriquer des images les pieds en l’air, pourquoi ne pourrions-nous pas fabriquer une image peu différente de celle qui nous est habituelle, mais un peu meilleure, plus nette et plus colorée ? 

Dans le fantôme intérieur, V. Ramachandran et S. Blakeslee évoquent des cas où des patients, suite à lésion cérébrale, sont conscients qu’une partie de leur champ visuel a disparu. Pour certains, l’affaire devient amusante, puisqu’ils rapportent y voir des images incongrues, par exemple des personnages de dessins animés. On voit ici à quel point les images que nous voyons ne sont pas des reproductions de ce qui se passe sur la rétine, mais bien des productions où le cerveau s’appuie sur ce qui vient de la rétine pour fabriquer l’image la plus juste possible.

Motif no. 2 : Le cerveau est plastique

« Ce n’est pas à mon âge que je vais changer !» est une phrase que l’on entend souvent. Si vous aimez la répéter et que vous entendez par là « Je n’ai pas l’intention de changer, et ce n’est pas à mon âge qu’on va me forcer » alors nous ne pouvons qu’entendre votre message et le respecter. 

Mais à celles et ceux qui le disent parce qu’ils jugent le changement « impossible » après un certain âge, mmmmh, eh bien c’est faux. Les preuves du contraire se multiplient, même dans des processus aussi fondamentaux que la vue. Voici quelques sources pour explorer le vaste sujet de la neuroplasticité : 

  • un livre en anglais qui décrit le parcours d’une neuroscientifique opérée — à l’âge de 50 ans — pour un fort strabisme. Pour la première fois de sa vie, elle avait anatomiquement la possibilité de voir les choses en volume mais les tenants de la « période critique », à savoir que le cerveau ne peut plus apprendre certaines tâches au-delà d’une certaine période du développement, lui disaient que c’était impossible. Heureusement, elle a rencontré des gens qui savaient que c’était possible et qui lui ont donné des exercices pour permettre à son cerveau d’apprendre cette fonction et — ô joie – elle a commencé à vivre le monde avec le sens de la profondeur. Si elle a appris à partir de rien, pourquoi ne pourrait-on pas améliorer notre vision des volumes, sachant que nous le faisons déjà bien ? 
  • un livre en français qui recense des succès dans la façon dont le cerveau rétablit des fonctions perdues, dont un chapitre sur Feldenkrais et un autre sur David Webber (nous nous sommes inspirés de son travail pour la série suivante). Celui-ci, suite à une inflammation catastrophique de l’œil, avait perdu la vue. Il a alors entamé un processus d’amélioration qui l’a ramené à une vision à 10/10 (moi aussi j’ai peine à le croire mais je n’ai pas de raison de douter de sa parole). La méthode Feldenkrais a été une partie centrale de son processus, en améliorant de nombreux processus en lien avec la vue, la qualité du mouvement de la tête, de la mobilité des yeux, la douceur avec laquelle on porte son regard, etc. S’il a pu faire ce chemin immense, pouvons-nous nous contenter de gagner quelques lignes sur le tableau de l’ophtalmologiste ? 

Motif no. 3 : les yeux utilisent le mouvement pour voir finement ce qui est immobile

Je ne suis pas plus enthousiaste que nécessaire sur le fait que des mathématiciens aient développé un modèle pour comprendre comment on détecte des formes, en tout cas l’article suivant met en lumière un phénomène important : il n’y a pas énormément de fibres nerveuses arrivant de la rétine. Il est assez probable que beaucoup de dialogues entre cellules nerveuses aient lieu dans la rétine elle-même, ce qui a inspiré par exemple des scientifiques de Grenoble pour fabriquer un capteur d’images réduisant le flux de données au strict minimum.

Pour avoir discuté avec l’un de ces scientifiques, un phénomène intéressant est que leur conception est semblable à celle de nos rétines en ceci qu’elle devient aveugle quand ce que l’on regarde cesse de bouger. Dans l’article suivant, vous trouverez une discussion un peu plus longue sur les micro-saccades, des sortes de tremblements qui agitent nos yeux en permanence.

C’est l’objet d’un débat actuellement, mais il semble plausible que ceci nous permet de voir des scènes immobiles, là où certains animaux ne voient que ce qui bouge. Que voit une mouche immobile, posée sur le rebord d’une chaise ? Il est probable qu’assez rapidement elle ne voie plus rien, ce qui est une bonne motivation à se remettre en mouvement. Contrairement à la mouche, nos yeux peuvent bouger, ce qui fait varier ce que l’on observe ; pas besoin de gigoter pour voir !

Or vous avez peut-être fait l’expérience étrange de regarder dans le vide sans bouger du tout ni la tête, ni les yeux (ça demande d’avoir l’air complètement idiot et c’est plus facile en laissant la tête pendre) : la scène devant nos yeux commence à se délaver, blanchit (surtout sur la périphérie), les couleurs et les formes disparaissent plus ou moins totalement. L’image revient quand on bouge les yeux de nouveau. Eh oui, le mouvement de nos yeux participe au fait d’avoir une image !

Ainsi, quand vous regardez le visage de quelqu’un que vous aimez, vous pouvez croire que vous fixez votre regard mais en réalité vos yeux sautent d’un endroit à un autre (yeux, bouche, nez, etc) et même quand ils sont à un endroit, ils continuent à bouger très légèrement. En d’autres termes, votre regard multiplie les instantanés pour que votre image globale soit plus riche et satisfaisante.

On voit ici une bonne façon de dégrader la vision. Pour diminuer la qualité de ce que l’on voit, il suffit de durcir les muscles qui permettent ces minuscules mouvements, par exemple en regardant un écran (encore lui) pendant des heures. Mais en imaginant le processus inverse, on peut espérer que la vue s’améliore en redonnant cette aisance lors des micro-mouvements… On ne le saura qu’en essayant car il faut des instruments pour détecter ces mouvements, donc c’est notre expérience vécue qui nous dira nos progrès ou non. En tout cas cela vaut le coup de chercher des moyens de rendre à ces micro-mouvements plus de légèreté !

Motif no. 4 : La qualité de notre vue fluctue tous les jours

Avez-vous remarqué des fluctuations de la qualité de votre vue selon les moments ? Voici quelques exemples qui vous concernent peut-être : 

  • pour ma part, à mon réveil, ma vue est très moyenne pendant quelques minutes, probablement parce que j’ai tendance à presser fort mes paupières quand je dors. Ensuite elle devient très bonne de loin et j’ai des tracas de près. Finalement, le soir, avec la fatigue, la vision de près fluctue beaucoup, parfois ça va bien, parfois c’est flou. 
  • un phénomène optique explique que l’on voit plus net lorsqu’il y a beaucoup de lumière, pour autant que notre pupille se ferme correctement. Dans ce cas, certains de nos tracas pour voir correctement sont moins présents, voire absents.
  • certaines personnes perdent beaucoup d’acuité visuelle quand elles viennent d’être troublées par un choc émotionnel. Si on y prête attention, on s’aperçoit aussi que l’on voit mieux lorsque l’on se sent bien… 

On remarque plus aisément les moments où la vue se dégrade, on donne moins de temps pour goûter à notre vue quand elle s’améliore… Si on lui faisait un peu de place ? 

Motif no. 5 : Nos habitudes déterminent notre équilibre

Dans le Dieu des petits rien, Arundhati Roy fait dire à l’un de ses personnages : « L’être humain est une créature d’habitude, leur dit-elle, il est capable de se faire à tout, même aux choses les plus incroyables. »

Si l’on s’habitue à tout, on ne se rend pas forcément compte que ces habitudes modèlent notre organisme et, tel un sillon formé par le passage des eaux, ce que l’on a fait avant guide ce que l’on fera après. 

Par un curieux phénomène, nous sommes nombreux à espérer que notre situation s’améliore sans que l’on prenne de bonnes habitudes, alors qu’on en prend volontiers de mauvaises. Vous lisez probablement ces lignes sur un écran, ce qui vous fait du bien ou du mal selon de nombreux ingrédients : selon que l’on est plus ou moins détendu(e), que l’on prenne du temps pour se reposer de temps à autres (même les sportifs de haut-niveau ont du repos entre leurs séances), que l’on regarde des endroits variés et attrayants, etc. 

La bonne nouvelle est la suivante : en glissant une habitude bienfaisante — aussi timide soit-elle — dans vos journées, vous influez déjà sur le cours des choses. Encore mieux : comme les meilleurs plats que vous dégustez, il n’y a pas besoin de beaucoup de sel pour que ça devienne bien meilleur. 

4 façons de prendre soin de sa vue (que vous pouvez démarrer dès aujourd’hui)


Zou ! Puisque nous avons quelques raisons de croire que notre vue peut s’améliorer en prenant quelques mesures concrètes, voici quelques propositions.

Façon no. 1 : Prendre soin de son niveau de tension

Pour certaines personnes, un premier pas intéressant est de remarquer son niveau général de tension. Par exemple, vous pourriez prendre un moment pour vous installer confortablement là où vous êtes assis ou assise, sentir comment l’assise vous soutient et puis regarder tranquillement autour de vous. Si vous soupirez, vous avez probablement descendu tout naturellement d’un étage dans l’échelle de la tension. 

Dans un deuxième temps, vous pourriez toucher très délicatement les muscles près de vos mâchoires. L’intention que je suggère est de prendre contact avec le bout des doigts sans chercher à rien changer, comme si vous disiez « tout va bien, je suis là pour toi et je veux juste sentir le degré de tension ». De même, si vous soupirez, c’est bon signe ! Si un bâillement arrive, idem. Enfin, il se peut que vous ayez l’impression que les yeux reviennent « en face des trous » et que vous respiriez mieux. 

Ce sont de très modestes expériences mais j’espère qu’elles attiseront votre curiosité quant à votre bien-être général et le lien avec votre vue. 

Façon no. 2 : Allez voir votre ophtalmologiste préféré pour qu’il vous oriente

Cet article pose la question d’améliorer sa vue sans recourir systématiquement à des corrections optiques ; il s’agit plutôt d’améliorer le fonctionnement en espérant sortir d’une ornière.

Il n’en reste pas moins que l’ophtalmologie attire les plus brillants des étudiants en médecine, que les orthoptistes et optométristes sont passionnés par leur métier.

Donc il est judicieux de faire vérifier si votre inconfort relève de la simple fatigue ou si quelque chose de plus grave mérite votre attention. Il se peut aussi que des solutions classiques conviennent parfaitement à votre cas.

Certes, cette voie réclame un peu de patience car l’ophtalmologie est célèbre pour la longueur des listes d’attente.

Façon no. 3 : La méthode Bates

A partir du début du XXe siècle, un ophtalmologiste new-yorkais a consacré sa vie à chercher des moyens d’aider ses patients à mieux voir sans recourir forcément à des lunettes. Ceci l’a conduit à coucher sur le papier les éléments qu’il avait découverts en croisant ses propres expériences et celles de ses patients, dans le livre The Bates Method for Better Eyesight without Glasses (la méthode Bates pour une meilleure vue sans lunettes). La lecture de ce livre est intéressante mais réclame patience et motivation pour la mettre en œuvre car il n’est pas évident de comprendre comment elle peut fonctionner.

Plus tard, l’auteur britannique Aldous Huxley a été tellement heureux de ses progrès grâce à sa méthode qu’il en devint un ambassadeur de choix en offrant son talent littéraire. Il écrivit l’Art de Voir, livre qui accompagne beaucoup mieux le lecteur dans son cheminement intellectuel et pratique. On y trouvera donc des arguments qui justifient que la méthode ait fonctionné pour lui et d’autres, et des invitations variées à faire des expériences. 

Pour commencer, l’objectif est de ponctuer ses journées par quelques exercices simples afin que la vue soit plus aisée et agréable. Encore plus que Feldenkrais, la méthode Bates propose des exercices extrêmement simples, dont la difficulté est la suivante : saura-t-on les inclure dans ses journées ? 

Voici un exercice très simple, que vous pouvez faire de temps en temps. Vous en trouverez une description sur le site de l’association française des praticiens de la méthode Bates : exercice de palming. Quand vous laissez la lumière revenir, prenez le temps d’ouvrir les yeux et de laisser venir les couleurs avec délicatesse, ce sera probablement une nouveauté ! Un point clé du palming réside dans la qualité du noir que vous voyez quand les yeux sont à l’abri de la lumière. Plus c’est noir, plus c’est bon signe, et comme la surface d’un étang, le calme vient quand on diminue l’agitation, c’est une approche où l’on apprend à faire moins pour voir mieux.

Si l’approche vous intéresse, vous pouvez : 

  • lire l’ouvrage de Huxley
  • lire les ouvrages d’Eva Lother, par exemple « Mieux voir en clin d’œil avec la méthode Bates », 
  • trier le bon grain de l’ivraie, certains se réclament de Bates et annoncent faire du Yoga des yeux, il se peut qu’ils n’aient rien compris au côté radical (au sens de chercher la racine) des idées de Bates,
  • aller faire un stage de deux jours de méthode Bates pour vous mettre le pied à l’étrier. En effet, même si les exercices des livres sont plutôt clairs, ils le sont bien plus quand ils sont guidés. Vous trouverez ici un agenda des événements, pour ma part j’ai eu le plaisir de suivre un stage avec Nina Hutchings et j’en garde un excellent souvenir. 

Façon no. 4 : (Forcément) la méthode Feldenkrais

Vous trouverez un peu plus bas un enregistrement de séance inventée par Moshé Feldenkrais et guidée par votre serviteur. Dans cette séance, il est évident que Moshé Feldenkrais a lu le livre de Bates, mais il lui donne corps avec sa créativité propre.

Bates suggère de chercher à voir un noir de plus en plus profond lors des séances de palming ? Feldenkrais répond en cherchant des moyens d’apaiser le système nerveux pour aller dans ce sens. Il guide aussi dans un sorte de nettoyage des contractions parasites autour des yeux, afin que l’orientation des yeux se fasse de manière de plus en plus fluide. 

Il y a de nombreuses séances qui mettent en jeu les yeux. Souvent, elles s’intéressent aux relations entre l’orientation du regard et tout le reste de la musculature. Quand on est habitué, on sent des tensions se renégocier dans le cou, dans la ceinture scapulaire, autour du bassin, etc… Et quand on amène plus de cohérence (moins de contractions qui gênent les mouvements), chaque fonction s’améliore. Les yeux ne changent pas fondamentalement, mais ils font leur travail au mieux de leurs possibilités actuelles et il se peut que ce soit amplement suffisant pour ce que vous souhaitez faire.

Voici donc une leçon gratuite pour essayer dès aujourd’hui, prévoyez 45 minutes tranquilles, j’espère que votre journée s’en trouvera embellie !

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Pour aller plus loin

Pack de 16h de Feldenkrais pour les yeux

Voici un pack qui contient 16 leçons (environ une heure chacune) pour se reposer et voyager dans sa vision tout en délicatesse. Insistons sur ce point, ce n’est pas du fitness des yeux, plus votre pratique sera délicate et plus les bénéfices seront importants. En termes de bénéfice, espérons pour commencer que vous ferez l’expérience d’une vue qui peut s’améliorer, parfois pour une heure, une journée, ce qui peut vous motiver à prendre soin autrement de vos yeux.


Le site de l’association “l’art de voir”, qui promeut la méthode Bates et qui contient de nombreuses ressources intéressantes.

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