Il y a quelques semaines, j’ai eu l’occasion d’admirer comment mon organisme a su se tirer / me tirer d’un mauvais pas : alors que je quittais la maison d’un ami et que je me dirigeais vers la gare, à la main un sac chargé de mon ordinateur et lourd de victuailles car j’étais allé au marché, je n’avais pas vu qu’un arbre avait décidé de soulever un morceau de trottoir devant moi. Bien entendu, il l’avait fait en quelques années, mais je ne l’avais pas vu faire…
Mon pied a buté et je suis parti en avant, avec mon sac de 10 kg à la main. Vu le poids du sac, je ne pouvais pas soulever les bras et la chute s’annonçait catastrophique. J’ai alors senti comment mon vaillant organisme a cherché — beaucoup plus vite que la pensée consciente — une solution pour sauvegarder à la fois l’ordinateur, les tomates, mes os et ma peau.
En me remémorant la scène au ralenti, me voilà en train de décider quoi et dans quel ordre, pour aboutir à une solution élégante : j’ai posé le sac au sol avec une délicatesse étonnante, ce qui m’a permis de faire de grandes enjambées vers l’avant et des moulins avec les bras. Buter sur le trottoir était devenu un léger pas de course qui m’a permis de rattraper progressivement cette chute vers l’avant, le sac a simplement attendu que je retourne le chercher.
Pas de chute, pas de casse, quelques mots échangés avec un monsieur qui s’inquiétait et me demandait si tout allait bien, et une expérience amusante de créativité en mouvement.
Feldenkrais et autres
Cette situation me permet de remercier Feldenkrais et autres. En effet, si mon répertoire de mouvement avait été plus restreint, il y a des chances que je n’aurais pas trouvé de solution meilleure qu’une lourde chute, j’aurais eu trop peu de choix.
Les maîtres japonais d’arts martiaux ont réfléchi à la question depuis des siècles : lors d’un combat au sabre, chacun veut survivre et frapper et, dans ce contexte, comment augmenter ses chances de s’en tirer ? La solution proposée a été de renforcer les fondamentaux : des enchaînements maintes fois répétés en sachant très bien qu’il faudra de toute façon improviser aussi vite et aussi bien que possible. Mais cet enrichissement préalable et ce huilage permettent d’inventer — le moment venu — de meilleurs mouvements à la vitesse de l’éclair.
C’est comme si une ville, au lieu d’avoir une artère centrale, se voyait enrichie de tout un réseau de petites rues qui courent autour des pâtés de maisons. Pour aller de A à B, on peut être d’autant plus créatif que le réseau est riche et praticable. Une barricade ici ou là ? Zou, on fait le tour en un rien de temps. Donc si le vaillant samouraï en armure qui souhaite nous découper lance son sabre dans une direction, il se peut que l’on sache comment se déplacer pour éviter la lame, peut-être même en profiter pour renverser la situation.
Évidemment, nous n’avons pas tous les jours des gens en armure face à nous, mais nous avons les mêmes problèmes : comment nous préparer à improviser des mouvements lestes, élégants, et parfois créatifs en cas nécessité impérieuse ? S’il fallait une raison de plus de pratiquer Feldenkrais, en voilà une : en étoffant notre répertoire de mouvements, notre incroyable cerveau pourra faire des prouesses et transformer certaines difficultés en belles histoires.
Photo de Keith Tanner sur Unsplash