Poussés vers l’aisance : une vision positive de la fatigue

Poussés vers l’aisance : une vision positive de la fatigue

Tout comme je me suis amusé à défendre le vieillissement dans un article (que vous trouverez en cliquant sur ce lien), je vous propose ici de faire le meilleur usage de votre fatigue.

Un moment apaisant en gare Montparnasse

Peut-être que des gens sont joyeux en permanence, mais votre serviteur confesse une certaine lassitude en voyant le monde glisser vers la bêtise et le nombrilisme. Alors que se passe-t-il quand il se lève aux aurores pour prendre un train, qu’il doit être témoin encore une fois des incivilités qui ne manquent pas de ponctuer un voyage et qu’il arrive déprimé en gare Montparnasse pour attendre son prochain train ? Eh bien il a retrouvé le sourire grâce à cette fatigue.

Une fois bien fatigué, l’occasion se présente d’abandonner momentanément sa volonté et de tout simplement — et littéralement — « poser ses fesses » un moment. Le corps se détend, les yeux s’ouvrent sur ce qui nous entoure. Comme dirait un auteur inspiré du Zen : « si vous tournez votre attention vers les choses que vous pouvez recevoir [sans rien faire], vous commencerez à réaliser tout ce qui vous est offert. » Alors je regarde des gens passer, tel un chat curieux à une fenêtre, et je sens ma respiration qui revient. Je découvre que j’ai choisi l’un des meilleurs endroits de la gare quand un nuage poursuit sa course et dévoile le soleil. Pouf, me voilà baigné d’une lumière agréable pour déguster un très bon café (ne pas se laisser influencer par le gobelet en carton). Merci la fatigue !

Teshigawara, un enseignant qui épuise ses élèves pour leur bien

Quand on est à la peine, il y a deux voies possibles : on donne un coup de collier pour surmonter ce qui apparaît comme un obstacle, ou bien on baisse les bras. Or même s’il est détesté par la partie de nous qui cherche la victoire par le combat, l’abandon contient des trésors… Le danseur japonais Saburo Teshigawara est connu pour aider ses élèves à sentir des bases plus organiques en les fatiguant suffisamment pour qu’ils abandonnent certaines habitudes. Pour faire moins naturel, ils ont eu besoin de travail, d’énergie et de pouvoir tenir cette habitude. Que le chorégraphe les emmène au-delà de ce qu’ils peuvent tenir et — pouf ! — ils découvrent une façon nouvelle d’être plus léger ou légère dans l’espace.

Avant de vous inviter à regarder la petite vidéo ci-dessous, j’aimerais vous raconter un extrait du documentaire où j’ai découvert Teshigawara (c’était il y a des années et je ne sais malheureusement pas où le trouver). Un moment clé de ce film est un travail à deux où le danseur dit qu’il n’en peut plus, espérant une pause. Le chorégraphe lui dit alors d’une voix douce « Tu es debout, non ? Ne t’en fais pas, tu n’es pas encore si fatigué que ça, sinon tu serais allongé. Continuons. » Vous trouverez un témoignage de ce travail dans ces quelques minutes :

Quand une nageuse découvre les joies de travailler moins

Pas plus tard qu’hier, j’ai eu l’occasion de vivre un événement assez joyeux, dans la même veine. J’étais à une compétition de natation où se mélangeaient des enfants, des adolescents et puis quelques nageurs de la catégorie dite « Maîtres », dont je fais partie. La catégorie commence à 25 ans mais certains nageurs avaient plus de 60 ans et nous avions le sourire bien que nous ressemblions à la « croisière Tamalou » où chacun énumère les endroits douloureux.

Avec une autre brasseuse, nous plaisantions (avec compassion) des 10 derniers mètres de sa course, qui est la partie où l’on se demande pourquoi l’eau semble si collante tellement les forces manquent. Mais pour elle, il s’était passé quelque chose de fascinant : comme elle était incapable de continuer avec sa nage habituelle, qui est très énergivore, eh bien elle a trouvé une nage inhabituelle mais beaucoup plus économe.

Ô miracle, elle a réussi à terminer sa course sans trop perdre de vitesse et une idée a germé : comme elle devait enchaîner une heure plus tard avec la même distance (cette fois en relais) et qu’elle se sentait bien incapable de gravir la même montagne une deuxième fois dans la même journée, quid d’essayer cette nage économe ?

Vous me voyez venir ? Malgré la grande fatigue musculaire, en adoptant cette nage économe, non seulement elle a pris plaisir à faire cette deuxième course mais elle a nagé deux secondes plus vite ! Le calcul est vite fait : faire mieux avec moins, voilà le paradis d’un praticien Feldenkrais 😅

Ce que l’on fait quand on est en bas…

Quand on est en grande difficulté, ne dit-on pas qu’on est au fond du trou ? Sans nier les aspects douloureux de ce passage, ce genre de période est souvent l’occasion de préparer des jours meilleurs. Quand on n’a plus de forces, on trouve une façon de faire avec moins d’énergie. Quand on a moins d’argent, on trouve des façons de changer de fonctionnement. Quand on a des problèmes de santé, il se peut que ce soit un moment où l’on adopte une hygiène de vie plus saine.

J’ai lu quelque part que « les mesures que nous prenons quand nous sommes au plus bas préparent nos succès futurs, les excès que nous nous autorisons quand nous sommes au plus haut préparent nos déboires. »

Quand le corps va bien, il se peut que nous prenions l’habitude d’abuser du sucre (je plaide coupable) ; quand ça ne va pas si bien, il se peut que nous apprenions à mieux composer notre assiette. Quand on est plein d’énergie, on peut se permettre de forcer ; quand on est moins fringant, on doit apprendre à faire avec plus de respect.

Pour en revenir à la fatigue, elle est souvent désagréable. Le dictionnaire égrène des mots négatifs : diminution des forces, pénible, découragement… Je vous propose de nous tourner vers le positif et d’en profiter : quand on est fatigué, il est plus facile d’abandonner les efforts nocifs. Il est plus facile d’abandonner les raideurs qui nous gênent pour nous couler au mieux dans les circonstances du moment, tel un chat qui peut dormir dans un contenant de n’importe quelle forme. Il est plus facile de laisser aller cette cuirasse qui nous protège contre les chocs soudains, mais qui nous empêche de respirer quand on la porte au quotidien.

Ici et maintenant

Alors voilà : quand on est en bas, quand la fatigue nous plombe, c’est le moment de faire une pause et de laisser le poids nous montrer où se trouve le soutien. Par cette étrange magie des choses, la respiration douce revient en même temps que nous trouvons les choses plus belles. Nous suivons plus volontiers l’invitation des maîtres Zen à goûter à la générosité du moment présent.

Pour ce qui me concerne, depuis ce café en gare Montparnasse, j’ai eu droit aux sourires d’un couple qui cherchait une place pour s’asseoir au café quand j’étais sur le point de partir, le train était à l’heure, le chef de train nous a chanté une chanson au micro pour que les passagers qui descendaient à Angers n’oublient pas leurs bagages à bord et j’ai trouvé délicieuse la délicate beauté des bords de Loire. Mon train arrive à Nantes et moi j’arrive à la fin de cet article. Je lance donc, avec modestie, une suggestion pour la prochaine fatigue pressante : je vous souhaite la joie de retrouver un respiration libre et une humeur légère en vous abandonnant à son invitation à faire mieux avec moins. 😊

Laisser un commentaire