Savez-vous comment une ruche prend soin de sa survie ? Elle consacre 80 % de son énergie à exploiter ce qui a déjà fonctionné — mais elle en garde 20 % pour explorer de nouvelles pistes, même incertaines.
Et nous, prenons-nous ce temps pour explorer ? Si oui, comment ? Est-ce fâcheux de ne pas le faire ?
Le coût de l’unilatéralité
Tensions, épuisement, automatisme, perte de sens ou rigidité sont des compagnons bien connus d’une société qui prétend être incroyablement efficace. Ouh l’image négative… mais je propose d’interroger un suspect dans cette sombre affaire : au lieu de faire 80% exploitation / 20% exploration, nous commettons souvent l’erreur de tendre vers les 100% d’exploitation et 0% d’exploration, et ceci nous garantit des jours difficiles !
En effet, tendre vers 100% d’exploitation et 0% d’exploration signifie que nous ne nous appuyons que sur ce qui a fonctionné dans le passé. C’est judicieux à court-terme car, comme les abeilles, nous ne pouvons pas gaspiller toute notre énergie à aller au hasard. Quand une abeille trouve une belle source de nutriments, elle en informe ses congénères par une danse qui indique la direction et la distance vers le festin. Ainsi, au lieu de voler au hasard, leurs efforts seront forcément payants.
Lorsque 20% des abeilles ne tiennent aucun compte des indications de leurs collègues, ce sera certainement vécu comme un gaspillage par les férus d’optimisation financière. Comment ??? Elles vont au hasard autour de la ruche ? Pourquoi perdent-elles du temps et de l’énergie alors qu’on leur avait déjà dit où chercher ?
Exploitation / Exploration
La réponse à notre question est simple : elles préparent le futur.
Si toutes les abeilles allaient là où l’on a trouvé des fleurs, c’est plus efficace à court terme, mais il y a un moment où il n’y aura plus rien et la ruche se trouvera bien embêtée. Inversement, si elles passaient leur temps à flâner sans but, elles dépensent plus d’énergie qu’elles n’en rapportent et la ruche ne va pas mieux.
Ainsi, la sélection naturelle a révélé qu’il était judicieux d’investir une partie des ressources pour explorer les environs, au hasard, avec l’espoir d’être la prochaine abeille qui dansera pour transmettre sa trouvaille aux camarades ouvrières. La sélection naturelle a fait le reste pour ajuster la part d’exploration. C’est l’exploration qui permet de trouver de nouveaux filons, de sortir de situations qui ont fonctionné mais qui se sont épuisées ou ont disparu. Imaginons par exemple que le fermier du coin ait fauché le champ de fleurs… alors il faudra bien changer de crèmerie, et mieux vaut avoir des pistes avant !
Or, comme nous l’avons évoqué, notre société nous pousse parfois à écraser nos moments de recherche gratuite et joyeuse au nom d’une version bien sèche de rationalité, alors qu’on a désormais compris que ce n’était pas une bonne idée. On a absolument besoin de réserver un peu de notre temps à préparer un futur forcément différent. Et on a besoin de le faire au nom du plaisir, car je suis sûr qu’une abeille qui se promène aime aller au hasard du vent et du soleil.
Un espace dédié pour préparer le futur
C’est exactement ce que propose une séance de Feldenkrais : préparer, semer, explorer. Comme les abeilles, nous veillons sur notre futur en donnant un peu de notre énergie à des pistes incertaines. Qui sait si nous n’aurons pas besoin d’alternatives en cas de pépin, tel qu’un muscle froissé ou une articulation qui couine ?
Voilà donc où se place la pratique de Feldenkrais : dans ces 20% inutiles à court terme, mais dont nous avons absolument besoin pour le long terme. Si nous pouvons goûter au plaisir et à la beauté du geste gratuit, notre exploration n’en sera que plus vivante et joyeuse. Difficile tâche que de préparer le futur tout en disant qu’on se moque du résultat ! 😅
Des exemples à méditer
La prochaine fois que je me mets au sol (juste après avoir écrit ces lignes), je me sentirai un peu comme un abeille réjouie à la vue d’une nouvelle plante couverte de fleurs nourrissantes 😊 Et alors, ce temps inutile sera une fenêtre sur un futur plus ouvert et —paradoxalement — plus sûr. Mais j’aimerais finir en ouvrant vers des témoignages concrets.
Lors de ma formation, je me souviens de Myriam Pfeffer — environ 80 ans à l’époque — qui m’expliquait que de nombreux praticiens Feldenkrais de sa génération affirmaient que la pratique leur avait permis de vivre plus longtemps. C’est un peu grave et j’en parle avec modestie, mais la question mérite d’être posée : peut-on préparer d’éventuels coups durs comme si on glissait quelques cartes dans sa manche ?
Mais pour aller vers une plus grande légèreté, on peut aussi regarder notre ami Moshé Feldenkrais dans cette vidéo, on on le voit marcher à presque 80 ans. On voit qu’il navigue un peu d’une jambe à l’autre, mais c’est parce qu’il vivait avec un genou très abîmé. Le confort visible malgré ces dégâts relève de l’exploit, et il démontrait qu’on pouvait vivre — avec ou malgré eux — de manière très satisfaisante.
Et pour aller vers des exemples plus riants, voici une liste de ce qui me passe par l’esprit :
- ce jeune homme de 65 ans en fauteuil roulant suite à un AVC qui apprend à se lever avec légèreté, et même mieux que la plupart des « valides », pour le plus grand étonnement de ses proches,
- votre serviteur qui s’amuse à nager en prenant des appuis différents et des synchronisations différentes. Je ne participerai plus aux JO, mais j’ai espoir de trouver des coordinations remarquablement efficaces et d’en parler aux jeunes et véloces nageurs de maintenant,
- l’éminent praticien François Combeau qui ne porte aucune trace d’un important AVC, après des mois pendant lesquels ses médecins étaient fort pessimistes,
- cette dame qui découvre lors d’un accrochage routier qu’elle avait des façons de traverser la panique, parce qu’elle l’avait déjà vécue dans une séance de Feldenkrais où les neurones s’emmêlaient… avant de se démêler,
- ce nageur de niveau national qui découvre comment laisser bouger ses lombaires pour être encore plus véloce lorsqu’il pousse sur ses jambes en brasse,
- cette chanteuse lyrique qui trouve une façon délicieuse de respirer lors d’un concert suivant un atelier de Feldenkrais,
- ce pratiquant de Yoga qui donne un sens encore plus profond à certains mouvements explorés depuis des années,
- cette enseignante de Taï Chi qui donne encore un peu plus de relief à son enseignement,
- toujours votre serviteur qui a évité une chute qui promettait de la casse,
- et vous… quelle est votre histoire ? Qu’avez-vous envie de semer ? 😊
Photo de Krzysztof Niewolny sur Unsplash
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