Illustration : Eric Ezendam
(Cet article a été mis à jour grâce à l’intervention bénéfique d’un internaute, qui m’a permis d’améliorer encore un peu la discussion).
En ouvrant le livre Peaks and Valleys de Spencer Johnson (voir ici pour une version française), le praticien Feldenkrais que je suis s’est enthousiasmé pour une citation de Proust :
Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux.
Marcel Proust
Ah, voilà qui apporte de l’eau à mon moulin ! me suis-je dit. En effet, notre pratique développe de nouveaux yeux, de nouvelles finesses de nos sens, nous découvrons nos aptitudes naturelles sous un éclairage nouveau ; ce voyage fait que nous avons de nouveaux yeux, et ô miracle, nous voyons de nouveaux paysages.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là, car cette citation est en fait complètement déformée !
J’ai trouvé cette citation dans de très nombreux sites, qui se spécialisent dans la production en masse de citations ; chacun reprenant les autres, on aboutit à cette version. Or en creusant un peu, j’avais trouvé ce que je croyais être la citation originale, qui finalement n’était pas encore exacte. Voici ce qui circule partout :
Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux, de voir l’univers avec les yeux d’un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d’eux voit, que chacun d’eux est.
Finalement, par le génie du partage sur internet, un visiteur du site (qu’il soit ici remercié !) m’a envoyé la citation correcte :
Le seul véritable voyage, le seul bain de Jouvence, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux, de voir l’univers avec les yeux d’un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d’eux voit, que chacun d’eux est ; et cela, nous le pouvons avec un Elstir, avec un Vinteuil ; avec leurs pareils, nous volons vraiment d’étoiles en étoiles.
Marcel Proust, in Du côté de chez Swann
À partir d’un paragraphe qui fait l’éloge de l’ouverture à l’Autre, à l’exploration du monde par la multitude des angles et des expériences différentes, certains ont amputé cette pensée pour nous laisser chacun dans notre coin, nos yeux, notre pensée, notre monde. 🤔
Je propose une première morale à cette histoire : Je pose la question suivante : et si nous réclamions d’avoir le temps d’écouter les gens jusqu’à la fin de leurs phrases ? Et si nous faisions de la place pour que la complexité du monde soit moins lourde pour chacun et chacune, car elle est portée par les gens sympathiques que nous côtoyons ? 😊
Ma seconde remarque fait suite à cette correction de correction, quand le gentil internaute a permis d’améliorer le texte. En tant que praticiens et pratiquants de Feldenkrais, ne sommes-nous pas amoureux de l’amélioration sans fin, des petits pas vers le mieux ?
J’ai hâte de saisir la prochaine occasion d’écouter quelqu’un d’une façon qui suscite un peu de curiosité et de surprise parfois, pour moi et pour l’Autre 😊