Photo de kazuend sur Unsplash

Quand tu as le choix, ça saute aux yeux… Plaidoyer pour le sensible.

Comment une juge de patinage artistique fait-elle pour voir les détails qui séparent un 9.9 d’un 9.8 ? Quand tout va si vite, pourquoi ne sommes-nous pas capables — comme elle — de voir ce petit ratage lors d’un saut ? Nous avons pourtant les mêmes yeux !

Une différence, c’est qu’elle a vu, vécu, senti ce qui se passe quand on fait d’une façon, puis d’une autre et encore une autre. Elle connaît et elle sent les choix, les différentes possibilités qui se présentent. Là où nous ne voyons qu’un magma indifférencié de mouvement, elle voit un réseau de « Peut-être comme ci » et « Peut-être comme ça », elle peut sentir ce qui est trivial et ce qui est admirable.

Je défends ce point de vue après avoir vécu un phénomène très amusant pendant ma formation de praticien Feldenkrais. Je me souviens comme si c’était hier d’un cours où une collègue de formation était allongée sur la table (comme sur la photo ci-dessous, qui vient d’une des premières formations de la méthode, clin d’œil aux vêtements ☺️) et notre formatrice demandait : « Vous voyez, quand je bouge le bras comme ci, le sternum fait comme ça. ». Euh… je ne voyais rien, ou alors c’était très confus. On pouvait me convaincre d’une chose, ou peut-être que c’était le contraire, mais vraiment ça ne me sautait pas aux yeux et je n’avais pas confiance en ma perception.

Photo International Feldenkrais Federation

Nous avons enchaîné avec une séance collective qui permettait de sentir comment le sternum pouvait bouger avec le bras, comment il pouvait suivre dans une certaine direction, comment il pouvait bouger dans une autre direction. Comme d’habitude, nous avons multiplié les options, nous avons senti les moments où nous avions le choix, notre conscience de ces possibilités s’est étendue ; c’est ce que vous et nous faisons toujours pendant les séances de Feldenkrais. A la fin, je sentais en moi des possibilités nouvelles, j’avais conscience de ce que faisait le sternum car j’avais le choix d’aller comme ci ou comme ça.

Et puis nous sommes revenus à la situation précédente, la collègue sur la table, la formatrice qui invite le bras et qui a posé la même question. Ô miracle, c’était devenu tout simplement clair pour ma perception, comme si on m’avait enlevé des lunettes embuées. Quand on a le choix, on voit clairement ce qui est là. Les yeux sont les mêmes mais nous voyons plus finement qu’avant.

Faites entrer les vidéos synthétiques

J’ai eu envie de vous parler de ce sujet après avoir vu la vidéo ci-dessous. D’un côté je reconnais la prouesse technique, mais je suis profondément intrigué quand des gens disent que c’est « convaincant » ou que c’est « impossible à distinguer de la réalité ». Est-ce que nos regards sont si différents avec les informaticiens qui s’enthousiasment ? Ne voient-ils pas que les yeux, les expressions faciales et les mouvements du cou sont très étranges et qu’ils ne sont absolument pas naturels ?


Je prétends que le monde est en train de se scinder : des gens sont tellement embués qu’ils ne voient pas que cette vidéo est artificielle, d’autres se demandent comment c’est possible qu’ils ne le voient pas.

N’est-ce pas le moment pour dire que c’est précieux de sentir dans sa chair ce que cela veut dire de bouger la tête ou le visage, de distinguer les goûts naturels et délicats des productions artificielles ? Car les productions artificielles ont intérêt à ce que nous ne sentions pas la différence ; si elles abîment notre finesse de perception, elle feront jeu égal avec la richesse du naturel car il n’y aura plus personne pour dire que ça n’a rien à voir.

C’est à nous de prendre la parole car nous préservons le sensible et le possible. Leur monde est uniforme et artificiel, le nôtre est riche et vibrant. Ils y seront les bienvenus quand ils se réveilleront.

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