Voici la traduction d’un article écrit par une sommité dans le monde Feldenkrais, Larry Goldfarb. Comme il est connu pour son investissement dans la diffusion de ressources pour que les praticiens progressent dans leur art, mais aussi pour que le public découvre si la méthode leur serait bénéfique, j’ai plaisir à vous présenter cet article.

Bonne lecture ! 😊

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Felden-quoi ?

par Lawrence Wm. Goldfarb, CFT, Ph.D.

Il allait arriver, ce moment, ce moment redouté. J’étais à la fête d’anniversaire de mon ami Marcello, appréciant la musique brésilienne lorsqu’un des autres invités m’engagea dans une conversation amicale. Nous discutions des choses habituelles comme la météo ou comment nous avions rencontré l’invité d’honneur. Peter venait juste de finir de me parler de ses recherches en ingénierie lorsque cela arriva.

“ Que faites-vous dans la vie ? ”

“ J’enseigne la Méthode Feldenkrais® ”

“ Felden-quoi ? ”

“ Feldenkrais. C’est une méthode de re-éducation, du nom de la personne qui l’a développée, Moshé Feldenkrais. ”

“ Feldenkrais ? ”

“ Exactement. La Méthode Feldenkrais est une manière d’enseigner le mouvement. Je travaille avec des personnes qui ont des limitations physiques, telles que douleurs chroniques, problèmes neurologiques ou avec des personnes qui souhaitent améliorer leurs performances, comme les acteurs, musiciens ou les athlètes. J’enseigne également dans les programmes d’éducation physique à l’Université. ”

“ Qu’est-ce que vous enseignez ? ”

“ En règle générale les étudiants viennent chez moi parce qu’ils ressentent une certaine limitation, quelque chose qui interfère avec leur vie quotidienne ou qui entrave la progression ou la performance. Mon travail est de découvrir comment elles bougent, comment cela est relié au problème qu’elles ressentent, et comment elles pourraient se mouvoir de façon suffisamment différente pour que le problème puisse ne pas continuer. ”

“ Ca semble intéressant. Est-ce un genre d’exercice ? Ou montrez-vous aux gens comment corriger leur posture ? ”

“ Eh bien, ce n’est pas si facile de répondre, principalement parce que ce que j’enseigne, et comment je l’enseigne, est relativement différent de la notion d’exercice ou de posture. Tous deux sont basés sur des suppositions similaires : si vous êtes faible, vous devriez faire de l’exercice pour renforcer vos muscles. Si, d’un autre coté vous pensez que votre problème est lié à une mauvaise posture, vous devriez la corriger et vous tenir droit. Tous deux supposent que le corps est quelque chose qui doit être modelé, formé, placé à sa bonne place. Ces deux approches ne vous permettent pas de voir que ce que vous faites peut contribuer au problème que vous rencontrez, et encore moins de réaliser comment vous bougez et comment cela pourrait être relié à ce problème. ”

“ Êtes-vous en train de dire que les personnes ne devraient pas faire d’exercices ? ”

“ Non. Je ne dis pas cela. Je dis que les exercices seuls ne sont pas suffisant. L’idée derrière l’exercice est que vous n’êtes pas suffisamment fort, que vos muscles ont besoin d’être dans une meilleure condition. Ainsi un programme d’exercices est créé pour augmenter la capacité des muscles à travailler. Je pense que ceci est souvent un point de vue erroné, parce que les problèmes avec lesquels je travaille – douleur chronique , difficultés neurologiques, obstacles à la performance – ne sont pas liés à la force physique d’une personne, ils ont tous un rapport avec la manière dont elle bouge. Je crois qu’on pourrait dire que je m’intéresse à la capacité qu’une personne a de bouger avec plus d’intelligence et non de force. ”

“ Êtes-vous en train de dire que le mouvement peut occasionner des problèmes ? ”

“ Oui, c’est proche de ce que je dis. La manière dont nous bougeons peut mener à des problèmes. Ce qui est plus intéressant, c’est que vous pouvez ne pas avoir conscience que le mouvement est à l’origine du problème. ”

“ Oh, alors les personnes peuvent penser que leur problème est du à un manque de force ou lié à une blessure, quand en fait c’est le résultat de comment elles bougent ? Et nous ne sommes pas conscients de cela ? ”

“ Oui, la plupart d’entre nous ne sommes pas conscients de comment nous bougeons. Nous portons notre attention vers où nous allons ou ce que nous faisons, et non à comment nous le faisons. Par exemple pensez à comment vous vous levez à partir de la position assise. Comment le faites-vous ? Que se passe-t-il ? Qu’est ce qui bouge et quand ? ”

Peter se lève et se rassied plusieurs fois, et dit “ Je vois ce que vous voulez dire. C’est plus complexe que ce que je ne pensais. Habituellement, je pense à me lever et puis, ce que dont je me rends compte ensuite, c’est que je suis debout. Je réalise que je n’ai jamais réfléchi au-delà. ”

“ C’est ce que je veux dire. La plupart d’entre nous ne pensons pas à notre corps tant que nous n’avons ni mal, ni un problème quelconque. Mais ceci veut dire aussi que nous pouvons avoir bougé de façon inefficace ou dangereuse durant une longue période avant de nous apercevoir que quelque chose ne va pas. C’est un contexte dans lequel l’expression “ tant que ça marche, n’y touchez pas ! ” n’est pas valable.

“ Mais pourquoi est-ce ainsi ? Pourquoi ne s’en rend-on pas compte ?

“ Parce que nos mouvements deviennent habituels, automatiques. Nous répétons continuellement les mêmes mouvements, sans y penser ou y prêter attention. Lorsque quelque chose a lieu de manière répétitive, cela disparaît de notre champ de conscience. Ce n’est pas nécessairement mauvais, cela fait partie du processus d ‘apprentissage. ”

“ Cela veut-il dire que nous apprenons à nous mouvoir de façon inefficace ? ”

“ Oui. ”

“ Pourquoi ? ”

“ Eh bien, parce que nous bougeons comme nous avons appris à le faire et que le processus d’apprentissage est assez aléatoire. Il y a un grand nombre d’éléments qui influencent notre manière de bouger : développement durant l’enfance, accommodations à d’anciennes blessures, ou exigences liées à des activités spécifiques que nous pratiquons (telles que les sports, instruments de musique ou des mouvements au travail). Finalement comme nous ne comprenons pas réellement comment notre corps bouge, nous bougeons souvent d’une manière qui ne correspond pas à la façon dont nous sommes construits. ”

“ Pouvez-vous me donner un exemple ? ”

“ Bien sûr. Les gens pensent que leur corps pivote à la hauteur de la ceinture et bougent comme si c’était le cas. Malheureusement le bas du dos ne permet pas ce genre de mouvement ; l’agencement de l’articulation de la hanche est ce qui permet au tronc de pencher vers l’avant ou l’arrière. Les muscles du bas du dos ne sont pas conçus pour ce mouvement. Curieusement, c’est dans cette partie-là du dos que la plupart des gens se blessent. ”

“ Je vois. Bouger comme si notre dos était fait pour pivoter à la taille peut conduire à des tensions et des douleurs dans le dos. ”

“ C’est ça ; vous comprenez. Mais, en tout cas, je vous ai assez retenu. Désolé, je peux m’emballer en parlant de mon travail. ”

“ Non, pas du tout, c’est passionnant. Et bien plus intéressant que le bavardage habituel des fêtes. Ma mère a eu des douleurs chroniques au dos il y a des années, donc votre travail me rend curieux. J’allais vous demander ce que vous pourriez faire pour elle. ”

“ Ce n’est pas facile à dire parce que j’aurais besoin de la voir bouger. ”

“ Pouvez-vous me dire ce que vous faites d’habitude lorsque vous commencez à travailler avec quelqu’un ? ”

“ Oui, je peux décrire ce que je ferais si votre mère venait me voir. Je commencerais par la regarder bouger, en lui demandant de tourner à droite et à gauche, de se fléchir en avant, en arrière et de chaque côté. Je poserais mes mains pour sentir quels muscles travaillent, lesquels ne sont pas engagés et lesquels ne peuvent pas se relâcher. Je rechercherais certains types d’habitudes et des façons de faire qui interfèrent avec d’autres mouvements.

“ Je ne comprends pas. Qu’entendez-vous lorsque vous dites des façons de faire qui interfèrent avec d’autres mouvements ? ”

“ Je veux dire que c’est souvent comme si les personnes étaient restées coincées en train de faire un mouvement ou dans une façon de se tenir, sans en être conscientes. Par exemple, si vous vous êtes blessé à la jambe, vous changez votre marche et commencez à boiter. Le fait de boiter peut être la bonne solution directement après la blessure, mais il peut perdurer après la guérison de la blessure. Si cela dure plus longtemps que nécessaire, ça peut conduire directement à des douleurs, des raideurs, et à d’autres problèmes ailleurs dans le corps. Ce n’est qu’un exemple, vous pouvez aussi “ boiter ” avec les épaules, la nuque ou le dos. D’ailleurs, il n’est pas nécessaire de vous blesser pour développer ce genre de mouvement. Vous pouvez prendre de habitudes similaires par la pratique d’un instrument de musique, ou par la répétition, pendant la journée, de mouvements liés à votre activité professionnelle, ou par la pratique de certains sports, etc. L’idée, c’est que vous développez un schéma de mouvement dans lequel vous persistez, un schéma qui conditionne chaque mouvement et interfère avec toute activité allant dans un sens contraire. ”

“ Continuez. ”

“ Par exemple, j’ai récemment travaillé avec une conductrice de bus qui avait des douleurs de dos récurrentes. Quand je l’ai regardée bouger, j’ai clairement vu que les muscles du bas de son tronc étaient chroniquement contractés et que son dos était verrouillé. Même lorsqu’elle essayait de s’étirer, elle ne pouvait pas relâcher les tensions dans le bas du dos. C’est comme si elle avait perdu le contrôle de ces muscles. Elle pensait que son dos était supposé être droit, ainsi après la première période de douleurs de dos, plusieurs années auparavant, elle avait appris à garder son dos plat. Quand elle bougeait son tronc, elle utilisait trop les muscles du haut du dos, ainsi ils avaient commencé à faire mal en permanence. Bien que le médecin n’ait décelé aucune maladie, la conductrice de bus persistait à croire qu’il y avait un problème avec sa colonne vertébrale. J’ai pu l’aider à voir que c’était son mouvement qui était à l’origine de son problème. ”

“ Quand elle s’en est aperçu, a-t-elle pu changer ce qu’elle faisait ? ”

“ Pas immédiatement. Voyez-vous, après des années, elle avait perdu le contact avec ce que ces muscles faisaient. C’était comme si elle était en pilotage automatique et qu’elle avait oublié comment retourner au mode manuel. ”

“ Et que faites-vous dans ce cas ? Je pense qu’il doit être incroyablement frustrant de comprendre la cause du problème sans être capable d’y changer quoi que ce soit. ”

“ C’est là que la méthode entre en jeu. Il y a deux manières de travailler avec les gens : par le toucher en séances individuelles, et par la parole en séances de groupe. Ces deux façons de travailler sont basées sur l’idée d’apprendre aux personnes à être conscientes de leur manière de se mouvoir, comment elles peuvent bouger, et à augmenter leurs options et leur confort. Durant les séances de groupe, j’enseigne par la parole une séquence de mouvements doux alors que durant les séances individuelles, j’utilise mes mains pour bouger l’étudiant. ”

“ Est-ce que ça fait mal ? ”

“ Pas du tout. Le Feldenkrais, c’est doux. L’idée est que vous pourrez changer très facilement si les nouveaux mouvements sont plus confortables que les anciens.”

“ Est-ce comme du massage ou de la chiropractie ? ”

“Non. La seule ressemblance est que nous touchons les personnes, mais à part ça la Méthode Feldenkrais est très différente. En massage, le praticien travaille directement avec les muscles, en chiropractie, avec les os. Le praticien Feldenkrais, lui, travaille avec notre capacité à réguler et coordonner nos mouvements, c’est à dire que cette Méthode s’adresse directement au système nerveux et à son fonctionnement. ”

“ Qu’entendez-vous par-là ? ”

“ Eh bien, rappelez-vous la conductrice de bus dont j’ai parlé. Ses muscles étaient contractés parce que le système nerveux leur disait de se contracter. Ils ne décident pas par eux-mêmes de se contracter, les muscles ne pensent pas de manière autonome. C’est le cerveau qui leur dit quoi faire. Donc mon travail est d’aider mon étudiant à apprendre à contrôler à nouveau ses muscles. Je fais cela en utilisant des mouvements guidés et très doux, en restant en permanence dans la limite de facilité. ”

“ Réellement stupéfiant. Vous pensez vraiment qu’une personne peut changer sans douleur ? ”

“ Absolument. C’est une des raisons pour laquelle j’aime ce que je fais. ”

“ Mais attendez, ma mère à des problèmes avec ses disques. Est-ce que le Feldenkrais pourrait la guérir ? ”

“ Le Feldenkrais n’a rien à voir avec la guérison ou la “ réparation ” de la personne. Ce n’est pas un traitement médical, c’est une approche pédagogique. Il s’agit d’aider les personnes à retrouver le contrôle de leur vie en comprenant les raisons pour lesquelles elles se sentent comme cela et en leur apprenant à se mouvoir différemment pour qu’elles ne persistent pas dans ces sensations. Même lorsque des personnes ont des problèmes organiques ou des maladies, je peux souvent les aider à gérer leur réponse au problème. Par exemple, lorsque je travaille avec quelqu’un qui a de l’arthrite, mon travail n’est pas de faire disparaître la maladie. Dans ce cas, c’ est d’aider la personne à bouger de telle sorte qu’elle ne mette pas les articulations affectées sous tension et qu’elle puisse trouver des manières plus confortables et plus sûres pour faire ce qu’elle souhaite faire. La même chose s’applique au problème de disques – même lorsque qu’il y a des problèmes structurels – la question est comment la personne peut bouger d’une manière plus appropriée pour augmenter son confort et éviter ou minimiser de futurs problèmes. ”

“ Oh, oh. Ils allument les bougies. Pouvons-nous en parler plus longuement après les festivités …. ”

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