(traduction) Pourquoi les mouvements lents améliorent-ils la coordination ?

Il y a quelques temps, je suis tombé sur l’article suivant, écrit par un confrère très apprécié, Todd Hargrove.

Le blog dont est extrait cet article n’est plus actif, mais l’auteur a maintenant une activité (en anglais) sur substack. Si vous lisez l’anglais, vous aurez peut-être envie de suivre cet auteur de plus près : si c’est le cas, c’est par ici.

Pour revenir à nous, j’ai eu envie de traduire cet excellent article et le rendre disponible en français, alors le voici sans plus attendre. Bonne lecture !


Pourquoi les mouvements lents améliorent-ils la coordination ?

par Todd Hargrove

J’ai beaucoup écrit sur ce blog sur les avantages de bouger lentement pour améliorer la coordination. L’une de mes pratiques de mouvement préférées, la méthode Feldenkrais, s’appuie en grande partie sur des mouvements lents et conscients comme moyen principal de développer la coordination. De nombreuses personnes regardent des mouvements très lents et doux et se disent : “Comment cela peut-il faire quelque chose ? Dur et rapide ne valent-ils pas meilleurs que lent et doux ? Ce billet est une réponse à cette question.

La loi de Weber-Fechner

Il y a plusieurs excellentes raisons d’utiliser des mouvements lents et doux pour développer la coordination. La raison la plus intéressante (je commencerai par celle-là) est probablement basée sur un principe obscur appelé la loi de Weber Fechner. La loi de Weber Fechner décrit la relation entre la force d’un stimulus particulier et la capacité du cerveau à percevoir des différences concernant ce stimulus. La règle de base est qu’à mesure que l’on augmente le stimulus, la capacité à percevoir une différence dans la quantité du stimulus diminue. Il s’agit là d’une idée de bon sens. Imaginez que vous êtes dans une pièce sombre avec une seule bougie allumée. Il vous sera très facile de percevoir la différence lorsqu’une bougie supplémentaire sera allumée. Mais si vous êtes dans une pièce avec deux cents bougies, vous ne remarquerez pas si quelqu’un allume une bougie supplémentaire.

Cette règle s’applique à toutes les formes de perception sensorielle, y compris les sensations d’effort musculaire. Imaginez donc que vous tenez une pomme de terre d’un kilo dans votre main alors que vous avez les yeux bandés. Si une mouche se posait sur le poids, vous ne sentiriez pas la différence, mais si un petit oiseau se posait, vous le sauriez. Imaginez maintenant que vous tenez une pomme de terre de 25 kilos. Vous ne pourriez pas sentir le petit oiseau atterrir. Il faudrait que ce soit un aigle. Le fait est que lorsque vous augmentez le poids d’une kilo à 25 kilos, vous devenez environ 25 fois moins sensible aux changements dans la quantité de force musculaire que vous utilisez pour soulever le poids.

Ralentir pour remarquer

Pourquoi s’en préoccuper ? Parce que si vous voulez rendre vos mouvements plus efficaces, vous devez savoir quand vous forcez trop. Si vous ralentissez et augmentez ainsi votre capacité à percevoir les différences de niveau d’effort musculaire, vous augmentez la capacité du cerveau à percevoir et à corriger tout effort excessif ou inutile. Imaginez que chaque fois que vous emmener la hanche en extension, vous contractez légèrement les fléchisseurs de la hanche au lieu de les relâcher. Cela signifie que vos muscles participent à des actions contradictoires – les fléchisseurs luttent un peu contre les extenseurs dans leur effort d’extension de la jambe, ce qui les oblige à travailler plus dur. Vous serez beaucoup plus à même de sentir et d’inhiber cette co-contraction inefficace en bougeant très lentement et facilement. En revanche, si vous bougez vite et fort, vous ne pourrez jamais détecter et corriger le problème.

Voici une autre façon de voir les choses. Dans un article précédent, j’ai expliqué que la précision des mouvements dépendait d’une bonne carte proprioceptive. Lorsque je parle de carte, j’entends les zones physiques du cerveau responsables du contrôle et de la détection du mouvement de chaque partie du corps. Ces zones cérébrales ou “cartes” développent leurs liens neuronaux en réponse à la pratique physique et au retour sensoriel qui en résulte. Ainsi, par exemple, si vous pratiquez le piano pendant des années, la partie de votre cerveau qui détecte et contrôle le mouvement de vos doigts commencera à devenir plus complexe et plus efficace, et deviendra même plus grande.

Vers une carte de mouvement plus fine

En appliquant la règle de Weber Fechner, nous savons qu’un mouvement doux conduit à une perception plus précise et discriminante de la mécanique du mouvement. En d’autres termes, le cerveau dispose d’informations plus détaillées et plus raffinées pour construire la carte du mouvement. La carte devient plus claire avec une plus grande résolution. C’est comme cliquer sur le bouton zoom de Google Maps. Il y a plus de détails, plus de rues secondaires sont révélées, plus d’informations sur la façon de bouger autour de cette articulation.

Ainsi, des mouvements lents et doux rendront la carte de vos mouvements plus claire. Ils peuvent également contribuer à l’élargir, en couvrant plus de territoire, car les mouvements lents sont le meilleur moyen d’explorer de nouveaux territoires de mouvement. Votre système nerveux central (SNC) perçoit de nouveaux mouvements ou des mouvements que vous n’avez pas effectués depuis des années comme une menace. Il ne vous laissera pas y aller si vous n’y allez pas lentement et facilement. Au Moyen-Âge, les cartes du monde comprenaient la majeure partie de l’Europe, puis aux coins des cartes figuraient des serpents avec la phrase « Ici, il y a des dragons ». Avec l’âge, la carte de votre cerveau concernant les mouvements perd de sa précision ; les zones sûres et familières deviennent de plus en plus petites, tandis que les territoires inconnus deviennent de plus en plus grands. Observez un enfant qui joue sur un terrain de jeu pendant dix minutes et vous verrez probablement de nombreux mouvements qui ne font plus partie de votre grille de mouvements. Si vous voulez revisiter ces zones, vous avez intérêt à commencer lentement et facilement.

Cette règle ne s’applique pas seulement aux mouvements difficiles et potentiellement dangereux comme la roue ou le saut périlleux arrière. Elle s’applique également aux mouvements de tous les jours, comme le simple fait de tourner la tête pour regarder derrière soi ou de s’asseoir en position de squat complet. Il existe une grande variété de façons d’effectuer ces mouvements simples, des centaines d’angles différents pour les articulations et littéralement des millions de schémas d’activation musculaire différents pour les exécuter. En vieillissant, vous utiliserez probablement de moins en moins ces possibilités de mouvement jusqu’à ce que vous soyez coincé dans une gamme étroite d’options. Par exemple, il y a de fortes chances que vous ayez une ou deux vertèbres thoraciques qui ne tournent presque jamais vers la droite. Ou peut-être y a-t-il un certain angle de hanche que vous évitez toujours inconsciemment – disons 30 degrés de flexion plus 10 degrés de rotation externe plus 15 degrés d’abduction. Cet angle est peut-être devenu un problème après une opération du genou il y a dix ans. Votre SNC a appris à l’éviter et c’est devenu une habitude. Aujourd’hui, en raison de l’amnésie sensori-motrice, cet angle est devenu une zone morte ou un triangle des Bermudes sur la carte de vos mouvements. Si vous voulez ne serait-ce que trouver cet endroit, vous devrez vous déplacer lentement et en pleine conscience, car tout mouvement rapide ne fera qu’activer la façon habituelle de se déplacer et l’évitera. Et lorsque vous trouverez la zone morte, vous devrez y aller lentement, car les tissus mous liés à cette zone peuvent être un peu raides et encroûtés après des années d’inutilisation.

Un peu de neuroplasticité

Une autre bonne raison de bouger lentement et doucement est de se donner le temps d’aborder le mouvement d’une manière exploratoire et curieuse, et d’accorder une grande attention aux détails subtils du mouvement. Pour améliorer la coordination, il faut recâbler les circuits neuronaux qui contrôlent le mouvement, ce qui est un exemple d’une notion qui est dévenue très à la mode, appelée “neuroplasticité”. La neuroplasticité signifie simplement la capacité du cerveau à changer. Selon Michael Merzenich et d’autres éminents neuroscientifiques, l’attention et la conscience sont des conditions préalables majeures pour que la neuroplasticité se produise. En d’autres termes, votre cerveau a beaucoup plus de chances de s’améliorer dans une activité donnée si vous êtes finement attentif ou attentive pendant que vous la pratiquez. Les mouvements lents peuvent vous aider à prêter attention à ce que vous faites en même temps que vous le faites.

Comment progresse-t-on ?

Il est intéressant de noter que le plus grand bond en avant dans l’éducation au mouvement a lieu au cours des deux premières années de la vie, une période où tous les mouvements sont très lents et doux, curieux et exploratoires. En fait, Moshe Feldenkrais a basé une grande partie de sa méthode sur son étude du mouvement et du développement moteur du nourrisson.

Il est également significatif qu’un grand nombre d’athlètes de haut niveau, de musiciens et d’artistes martiaux aient utilisé la pratique du mouvement lent comme moyen de développer leurs compétences. Ben Hogan, Monica Seles et, j’en suis sûr, beaucoup d’autres que je n’ai pas la force de rechercher pour l’instant, utilisent le mouvement au ralenti comme une partie importante de leur routine d’entraînement. Il est probable que Tiger Woods s’entraîne aussi au ralenti, et peut-être même pour son jeu de golf. Même les haltérophiles olympiques, les athlètes les plus puissants du monde, passent beaucoup de temps à améliorer leur technique en utilisant uniquement un manche à balai.

Bien sûr, à un moment donné, vous devrez accélérer les choses pour utiliser vos compétences dans une application plus réelle, mais il devrait être clair que le mouvement lent présente d’énormes avantages qui ne sont présents dans aucune autre forme d’entraînement.

Photo de Reba Spike sur Unsplash

3 Commentaires sur “(traduction) Pourquoi les mouvements lents améliorent-ils la coordination ?

  1. Marie Odile Langlere dit :

    c’est vraiment très intéressant; je commençais à ressentir l’apport d’aller lentement et petit au cours des séances, mais cette explication permet de mettre des mots sur ces sensations, c’est donc une connexion qui se fait une de plus. et puis c’est une sorte de validation; cet article m’apporte beaucoup, merci pour ce partage

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